L’odeur d’un père de Catherine Weinzaepflen
Editions des femmes
Catherine Weinzaepflen avait un père qui vivait en Afrique. Parents divorcés, à partir de 11 ans , elle ira donc passer ses vacances chez ce père. Elle écrit dans ce livre sa vie africaine, non à l’image de Karen Blixen et sa ferme africaine, quoique son amour du pays, sa chaleur, ses odeurs qui mènent aux souvenirs, et l’instant de l’éclosion des fleurs de caféiers sont comme un discret clin d’oeil. Toutefois, le père n’habite pas une ferme mais une maison à l’écart et même si la nature entre dans les pièces (crapauds, lézards, scorpions) la vie africaine de Catherine Weinzaepflen est une vie du dedans, du lit dans la cuisine, de la surveillance, des règles imposées par la femme du père. La peur domine : une jeune fille risque évidemment de tourner mal. La femme et le père la surveillent comme le lait sur le feu avec toute la violence que cela sous-tend.
Ce qui touche profondément dans ce texte tient pourtant moins de l’Afrique que du ton adopté par l’autrice : ces «quand j’ai onze ans », « quand j’ai x ans », qui rythment le récit mêlent à la fois la voix de l’adolescente et celle de l’adulte sans jamais être dans l’artifice de la recomposition. Le lecteur ou la lectrice se sent à mi-chemin, comme si on ne pouvait regarder le passé et une relation difficile avec un père qu’à partir de ce point de vue distancié tout en préservant intactes les émotions adolescentes, comme s’il fallait attendre que ces émotions trouvent la force de leur expression en s’objectivant. J’ai retrouvé tant de paroles entendues, de lois dictées pour soi-disant empêcher les filles de devenir putes, tant d’incompréhensions qui se sédimentent. Ce texte s’écrit au bon moment même si le père est mort sans savoir. Il faut ce temps des âges traversés. Catherine Weinzaepflen traduit cette durée sans jamais perdre la fraîcheur d’approche de la jeunesse. Sa façon d’énoncer, presque factuelle, donne force aux blancs des silences qui permettent d’avancer sans effacer. Ce texte n’est pas un règlement de compte, ni une lettre au père, il serait plutôt une lettre aux femmes qui ont subi une éducation pleine d’a priori sapant la confiance et parfois même l’amour. Je crains hélas qu’il y en ait encore beaucoup. Ces femmes pourraient avoir l’envie d’offrir ce livre à de futurs pères pour faire bouger les lignes.
MR