Depuis longtemps, j’écris dans des carnets ou des agendas. J’en ouvre, j’en jette, j’en rachète, j’en garde. M’est venue l’idée d’en savoir plus sur ce petit objet fonctionnel et transportable : son rôle dans l’écriture, sa place dans les poches. Ce qui me plaît, c’est qu’il se fout des classes sociales, des métiers, se glisse partout : dans le tablier du jardinier, la chemise du peintre, le sac d’une bricoleuse. Bernard Bretonnière, grand concepteur de listes, a partagé avec moi sa liste des écrivains à carnets. Dans la suite des noms, j’ai pioché François de Cornière. J’ai ouvert son « En principe », édité à l’Echoppe, qui commence par le souvenir d’un carnet, celui de son grand-père. Plus précisément, son premier coup de foudre est pour le « clac » de l’élastique de ce carnet, ce clac qui dit les pages bien « à l’abri, au secret, bien à plat ». Il ajoute qu’il aime les carnets pour en changer. « Repartir à zéro. Et sentir dans sa poche cette présence de papier. » Avec ce « En principe », le carnet accueille, comme il se doit, brisant les hiérarchies, la cuisine, la pêche, le « bel été », les bruits, l’amitié, l’amour, le bonheur. « C’est sans doute le principe le plus dur à écrire, le principe du bonheur. Pourtant, certains jours, on s’en croirait capable. Capable de tout dire, de tout écrire, de tout faire partager. » Les instants de vie sont attrapés par le filet à papillons des mots, conservés, partagés avec le lecteur, comme lors d’une conservation tranquille. Effet de ralenti pour saisir le ténu, le fragile. Et juste pour dévoiler des lectures potentielles avec la liste des carnetophiles de Bernard Bretonnière : Guillaume Apollinaire, Christian Astolfi, Jules Barbey d’Aurevilly, Peter Carey, Christophe Carpentier, Justin Cartwright, Louis-Ferdinand Céline, Bruce Chatwin, Jean-Marie Chevrier, Jean Contrucci, Michel Déon, Virginie Despentes, Missy H Dunaway, Hélène Frédérick, Neil Gaiman, Yves Gerbal, Sophie G. Lucas, Julien Green….je m’arrête à ce moment de l’alphabet, ajoutant Françoise Ascal, Christian Doumet et Antoine Emaz...Le programme des vacances est établi ! Reste à m’acheter un nouveau carnet avec ou sans élastique, juste pour le principe du bonheur.
M.R.