(c) catevrard
Dimanche 15 septembre 1940, dimanche 26 mai 2019
Les bombardements ne cessent pas sur Londres. La Hogarth Press est touchée comme la cour du British Museum, beaucoup de barges coulées, de pertes humaines. Le courrier arrive de plus en plus lentement, les trains sont irréguliers. Votre cuisinière s’en va et vous vous réjouissez. Vous avez toujours craint les présences domestiques. Vous instaurez quotidiennement « un acte de damnation d’Hitler ». Vous transportez du bois, manquez de café mais continuez, envers et contre tous, vos parties de boules. Vous vous rendez en bibliothèque pour préparer vos articles et discours et en profitez pour égratigner joyeusement les critiques littéraires. « Tous ces exercices de style tellement brillants et tellement dépourvus d’air et de chair ». Vous seriez étonnée de découvrir qu’aujourd’hui, les prescripteurs littéraires sont de moins en moins écoutés et que se développent des zones en marge, avec des booktubeurs, des blogueurs, le plus souvent des blogueuses, qui s’emparent des livres et en font la promotion, à leur façon, pour leurs pairs. Nous ne gagnons pas toujours en analyse stylistique mais en souffle nouveau et en chair. Comment vous seriez-vous emparée de ces moyens de communication ?Vous n’auriez pas boudé ces ouvertures et la présence des lectrices sur le net aurait piqué votre curiosité. Par contre, le contexte européen contemporain aurait ravivé votre répertoire d’actes de damnation. Je viens d’aller voter et attends, avec tristesse, les résultats. D’après les sondages, le taux d’abstention sera élevé et les partis nationalistes et extrémistes vont récolter de nouveaux députés. C’est effrayant. Les anglais votent alors qu’ils vont quitter l’Europe. Vous ne pourriez comprendre comment nous en sommes arrivés là, vous qui subissez les raids allemands, craignez l’invasion des troupes ennemies, croyez en la force de la France pour résister. Vous qui avez vu l’Europe exploser, ne pourriez accepter qu’elle disparaisse une nouvelle fois sous les votes. Il m’est étrange de lire votre journal en écho de mon présent. Nous ne savons ni tirer les leçons de l’histoire, ni progresser vers la paix durable. Un petit signe réjouissant : en faisant mes courses, on m’a offert une rose rouge. J’ai réalisé, trop tard, que c’était pour la fête des mères et que j’usurpais largement ce rôle pour une fleur. J’ai glissé la reine rouge dans mon panier, ni vu, ni connu. Je ne suis pas certaine que vous auriez fait de même. Vous auriez, par bravade, revendiqué être sans bambins accrochés à vos jupes et défendu le fait que les femmes puissent avoir une chambre à elle et moins de journées à jongler entre crèches, repas, boulot et mari. A moins que vous n’eussiez été blessée…. Comment osait-on remuer cette douleur de votre impossibilité d’avoir un enfant et vous obliger à feindre la maternité en dérobant une rose, rouge de surcroît ? Vous auriez argumenté sur l’origine pétainiste de la fête des mères et défendu le droit d’une fête pour le vote des femmes. Au moins, me suis-je servie de ce droit de vote que vous avez eu tant de peine à obtenir. Décidément, l’histoire vient secouer nos consciences avachies. La rose n’a perdu aucune de ses épines.
Chère Virginia, je reprends le fil de notre jour pour vous confirmer les résultats des élections européennes. Le parti frontiste et extrémiste arrive en tête en France, malgré une participation plus grande des votants. Étrange que puissent être réélus des condamnés ne siégeant pas au Parlement européen. Ailleurs, aussi, les europhobes ont gagné. Quelque chose explose, cela ne fait pas encore le bruit des bottes mais je ne suis guère rassurée.
Marcelline Roux