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Chronique d’un échouage

Nora Mitrani

Ed l’œil ébloui

 

 

 

« En ce mois de septembre de très basses eaux, après le miracle des calanques de Cassis et de Marseille, après la tristesse de Port-Saint-Louis, nous voguions sur un fleuve tropical plein de bonté. »

Quatre amis remontent le Rhône en bateau. Ils s’échouent sur une épave, à deux kilomètres d’Arles. Pendant huit jours, ils attendront les secours, désœuvrés.

Nora Mitrani déroule avec humour ces jours où rien d’important n’arrive. L’échouage fluvial est un naufrage sans grandeur, à l’image de ses protagonistes dont les vies semblent, elles aussi, reposer immobiles sur un banc de sable, figures désenchantées et fatalistes. «  Notre aventure est dérisoire, fabriquée par un démon de dernière catégorie ». La mélancolie naît de l’attente, en même temps que « l’investigation de nos âmes, les souvenirs de l’Orénoque ».

Une péniche, appelée au secours et ne parvenant pas à désenclaver le navire, prendra les naufragés à son bord, avec leurs biens les plus précieux. « Jacques Winter sauve son masque sous-marin et ses palmes, Montal une longue racine d’olivier ». Le capitaine restera seul à bord, ravitaillé tous les deux jours en vin et saucisson d’Arles. Jusqu’à ce que la crue désensable son rafiot.

Nora Mitrani a l’art de croquer des vies en trois mots, en une écriture nerveuse et suggestive. Le livre a le charme de ces esquisses qu’on préfère parfois, pour leur sens de  l’ellipse et de l’essentiel, pour leur énergie aussi, aux œuvres picturales achevées, alourdies et trop parfaites.

Nora Mitrani, morte prématurément, a peu écrit. On le regrette tant ce texte délivre une musique singulière et captivante. Dans sa postface, intitulée nora mitrani ou la liberté d’être, Dominique Rabourdin nous apprend que la jeune femme fréquenta les surréalistes, fut la compagne de Hans Bellmer, puis de  Julien Gracq. À ces proximités on doit peut-être l’attention aux signes, le goût de la langue et aussi ce voile de mystère qui aiguise l’attention et ouvre l’imaginaire.

 « Peut-être tiendrai-je un jour la compatibilité des aubes où je ne dormais pas encore et de tous les instants perdus »

« une voix qui ignore le tiède », écrivait Julien Gracq.

 Frédérique Germanaud