(c) catevrard
Jeudi 20 décembre 2018, dimanche 17 décembre 1939
Nous voilà à la veille de traverser les fameuses fêtes de fin d’année, moment très éprouvant pour beaucoup d’entre nous. Trop d’espoir et beaucoup de déceptions ? Peur de l’abandon ? Obligation sociale de faire la fête malgré les événements ou son humeur ? Culpabilité de laisser certains seuls ou malades ? Je ne sais ce qui se trame dans nos têtes, peut-être simplement la difficulté à tourner des pages et à en ouvrir de nouvelles ? A lire votre 17 décembre, vous ne semblez pas inquiète. Votre Noël 1939 se passera à Rodmell. Vous allez rejoindre, en bicyclette par un brouillard givrant, votre sœur à Chaleston. Le dernier jour de l’année, Léonard fera du patin à glace. J’espère que la neige et la glace ne seront pas au rendez-vous de mon Noël 2018. Comme vous, je rejoins ma sœur mais du côté du Nord. Nous projetons une escapade gantoise sans envie de faire des glissades sur les canaux. Nous avons décidé de bousculer les rituels. Ce décalage géographique va-t-il ajouter un soupçon de légèreté à cette période ? Je vous dirai. Vous évoquez par petites touches le climat de guerre avec le sabordage du Graf Spee à la sortie du Port de Montevideo. Ce fut une vraie défaite allemande et une victoire des croiseurs britanniques alliés au croiseur Dunkerque. Nous faisions donc déjà cause commune ma Virginia en 1939. En foulant la digue de Malo-les-bains dans quelques jours, je repenserai à cet épisode qui a dû apaiser pour quelques jours votre inquiétude de l’imminence du conflit. Je repense à ce que dit Milan Kundera dans Les Testaments trahis : face à l’Histoire,l’homme avance toujours comme entouré de brouillard, il voit à quelques mètres, peut prendre des décisions de proximité mais ne devine rien du paysage dans son entier. Il faut accepter avec humilité cette cécité face aux événements qui secouent le monde. Notre vision est de courte vue. Je souffle un peu sur ces buées et je boucle mon bagage. Je vous quitte pour une semaine entière. Je ne puis emporter votre gros pavé rose au milieu des paquets cadeaux. Les séparations ont du bon quand elles ouvrent sur de chaleureuses retrouvailles. Les nôtres le seront, je n’en doute pas. Je vais vers le vent frais du Nord, les écumes, les plages de sable fin, les dunes, la bière, les gaufres et les frites, les conversations au chaud des maisons de l’enfance, les lumières poignantes du soir…J’accomplirai quand même quelques rituels : « faire la digue » en clin d‘œil poétique à Ludovic Degroote, chercher des fleurs chez le maraîcher, déguster un cramique au sucre ou aux raisins, une galette des rois spéciale à la crème pâtissière avant l’heure des trois mages. Bref, je ne vais pas me laisser abattre par la nostalgie. Reprendre du poil de la bête en bord de mer est un défi gustatif plaisant. Je ponctuerai ces moments de débauches culinaires par de longues marches : il ne faudrait quand même pas revenir avec trop de kilos, de belles joues rouges suffiront. Quels cadeaux vais-je vous offrir? Avez-vous fait votre liste au Père Noël ? Sans doute, des livres ? Je vous propose de choisir dans ma sélection: L’histoire du loup de Michel Pastoureau, Journal pauvre de Frédérique Germanaud, les poésies de Marina Tsvetaeva, ou vous qui aimez les biographies, la dernière sortie de Robespierre par Marcel Gauchet, La barque de l’aube de Françoise Ascal, Eté 70 de Jacky Essirard, Tout cet hier à l’intérieur de moi d’Antoine Silber, le carnet de Venise de Jean-Gilles Badaire…Je vous laisse réfléchir. Mon libraire est homme efficace et prompt à répondre à vos vœux. Je vous présente les miens car il se peut que je ne vous retrouve qu’après le réveillon du 31. Sacrifions au moins à la parenthèse des confiseurs ! Cette fameuse trêve est toute française, née vers 1875, elle marquait l’arrêt des débats parlementaires entre Noël et jour de l’an, une façon de ne pas s’irriter par des propos trop vifs et de déguster bonbons et chocolats. J’aime croire qu’en cette fin d’année 39 vous avez connu une période de suspens. La mienne sera iodée.
Marcelline Roux