A contre-courant
Antoine Choplin
Editions Paulsen
Remonter l’Isère, de sa jetée dans le Rhône à sa source, n’est ni exploit sportif, ni voyage exotique. D’emblée, Antoine Choplin ne se place pas dans la lignée des explorateurs ou des sportifs de haut niveau : l’Isère, il la connaît, puisqu’il réside en sa proximité, et il remontera son cours assez bref à raison de quelques jours répartis sur chacune des quatre saisons, au rythme du promeneur observateur attentif.
Antoine Choplin nous convie à un pas de côté : un écart dans son œuvre romanesque et dans l’usage de ce coin de terre qu’il arpente d’ordinaire sous un régime motorisé et pétri d’habitudes.
Devenir étranger dans un paysage familier. L’enjeu, s’il paraît modeste au point de douter qu’il puisse faire livre, ne l’est pas tant que cela. Il s’approche plus de la poésie que du roman au souffle épique par son rapport singulier au temps et au paysage. Se déplacer à pied dit beaucoup de notre monde contemporain. Muni de ses seules jambes, le marcheur va devoir se confronter à une organisation géographique et sociale qui ne lui laisse pas toujours de place. Abords de route inexistants, hôtels fermés hors saison, tunnels routiers qu’il faut franchir au trot et au risque de sa vie, telles sont les aventures de cette minuscule épopée, alternant avec des rencontres et des fragments d’espace et de temps préservés. Ce petit territoire, les rives de cette rivière observées à la loupe, peut être reproduit à une échelle plus grande, celle de la France, voire du monde occidental. Se confrontent ici comme partout ailleurs deux mondes, celui de l’urbanisation et celui de la nature, rarement en harmonie.
Antoine Choplin voyage en écrivain. Il marche dans la compagnie des livres dont il nous donne à partager quelques lignes à chacune des saisons. Leurs auteurs se nomment Ponge, Hölderlin, Jaccottet, Michaux. Des poètes qui l’accompagnent sur la route et dans ses réflexions. Il est souvent question, dans ces pages, de la capacité ou de l’incapacité de l’écriture à saisir le réel. L’auteur en joue le temps d’un épisode, dont il révèlera ensuite qu’il est fictionnel, déstabilisant un instant notre position de lecteur.
« Comme une envie d’être à la hauteur de ce que je suis en train de vivre, de la plénitude offerte par ce cheminement librement choisi ». Ces mots concernent le pas du marcheur. Ils pourraient s’appliquer à l’écriture. À celle d’Antoine Choplin en particulier. Ceci encore : « l’effort reste inapparent, le rythme sans faille ». À Contre-courant met en lumière les qualités à l’œuvre dans les romans précédents : le souffle bien posé, la phrase fluide, la place laissée au silence et le respect de l’outil – la langue pour l’écrivain, au même titre que les chaussures et le chemin pour le marcheur.
Frédérique Germanaud