Juillet 2018

Chère Virginia, je pense que mes dernières mésaventures sur le net auraient titillé votre cinglante ironie. Un matin, tout heureuse de savoir que notre jour 69 gambadait joyeusement sur les réseaux sociaux et tout aussi ravie de voir que de fidèles  lecteurs et lectrices s’amusaient de vous découvrir comme l’effigie de nouveaux types d’arrosoir, je croyais que nos cent jours cheminaient, malgré la chaleur, vers de paisibles contrées. Je ne dirai jamais assez combien il est doux de sentir quand je poste une de nos journées que certains se penchent sur leur écran et passent avec nous, par procuration, des instants d’intimité que j’espère littéraires. Quelle ne fut pas ma stupeur de recevoir quelques heures plus tard, plusieurs alertes m’informant que le Day 69 avait été censuré par Facebook, jugé inapproprié pour figurer sur le réseau. Les censeurs de la société américaine de Marck Zuckerberg avait donc trouvé nos propos illicites. J’étais atterrée. Quelles paroles avaient pu choquer ces personnes, si toutefois quelqu’un se cache derrière un algorithme ? J’ai commencé par pester, évidemment, mais ma colère n’avait aucun interlocuteur et ne pouvait donc être entendue. Il me fallait désamorcer l’ulcère inutile à l’estomac et chercher ce qui avait déclenché la vindicte des effaceurs. J’ai d’abord cru qu’ils ne lisaient surement pas le texte et que c’était l’image qui était problématique. Vous affubler d’un arrosoir n’était pas très malin. Les esprits américains, plus évolués que n’importe quelle petite française, ont immédiatement voulu mettre fin à un début de métamorphose transgenre même subliminale. Je n’ai toutefois pu me résoudre à cette explication. J’ai relu le texte dans son intégralité et j’ai vu que je vous accusais d’avoir sauté des jours dans la tenue de votre journal. Serait-ce donc vous qui auriez réclamé vengeance à FB et supprimé aussi un des miens par juste compensation ? Je ne peux vous soupçonner d’une telle fourberie. Reste le nombre 69, qui a pu évoquer quelques postures équivoques et donc alerter tous les mal pensants. Je ne peux point passer du 68 au 70 sans passer par la case 69. On croirait, à juste titre, que je ne sais plus compter, affaiblie par la canicule. Je pensais qu’après toutes les campagnes d’affichage du minitel rose, le 69 s’était vidé de sa substance et je ne fais aucun jeu de mots, chers relecteurs facebookiens. Quelles pirouettes intellectuelles et même pas érotiques, m’obligent à faire les invisibles de ce réseau ! Ils agissent sans donner d’explications. Il leur suffit d’un clic et hop, vous disparaissez, ni vu ni connu et sans pourquoi. J’ai heureusement été soutenue dans le signalement de la disparition du Day 69. Plusieurs ont relayé l’information.  Quand on cherche son chat disparu dans la ville, on affiche son portrait. Je ne pouvais même pas afficher celui de notre jour 69 car le réseau me bloquait dans cette action de remise en ligne. Il me fallut lancer l’alerte sans image. Quelle ne fut pas alors ma seconde surprise, d’apprendre que, ce même jour, d’autres blogs littéraires avaient subi le même sort !  Mes divagations sur les causes s’avéraient ruinées. Rien ne tenait. Pourtant je suis tenace. J’ai continué à faire se connecter mes neurones et j’ai abouti à cette conclusion provisoire : les blogs littéraires animés par des femmes étaient rendus indisponibles. Les femmes qui lisent sont dangereuses, celles qui écrivent encore plus, et celles qui bloguent les plus redoutables puisqu’il faut absolument les déconnecter. Voilà donc toutes les tergiversations que provoquent une censure non expliquée et encore, chère Virginia, je vous épargne les hypothèses les plus folles que j’ai reçues, l’arrosoir était propice à une polysémie interprétative très joyeuse mais je choquerais vraiment cette fois les amis de Marck.  Tout cela pour vous dire dans quel étrange monde de communication je vis. Evidemment,  le tableau de L’Origine du monde a depuis longtemps disparu des images diffusées comme beaucoup de nus des peinture. C’est tellement plus facile de censurer le sexe que les idées violentes ou libérales qui asservissent plus insidieusement mais plus efficacement. Si ce jour 71 vit tranquillement sa vie, c’est vraiment que les gardiens du temple ne nous lisent pas. Faudra-t-il s’en attrister ?

 

Marcelline Roux

VW 71

 

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