J'entends des voix est une nouvelle rubrique de l'Atelier du Passage. Elle donne la parole aux écrivains, aux éditeurs, à ceux qui font le livre. Aujourd'hui, l'Atelier du Passage s'entretient avec Claire Delbard, responsable des éditions de l'Atelier des Noyers
J’ai découvert l’Atelier des Noyers au marché de la poésie de Paris, ce mois de juin 2018, sous un très chaud soleil parisien. Repartie avec deux livres dans ma besace : celui de Denise Desautels et Erika Povilonyté, celui de Geneviève Peigné et Petra Bertram-Farille. Deux ouvrages format à l’italienne, poèmes d’une grande force, accompagnés de noirs profonds et denses.
À l’origine de l’Atelier des Noyers, quelle impulsion, quel désir ?
L’Atelier des Noyers fêtera ses dix ans à l’automne, mais au départ la structure était essentiellement dédiée à la médiation du livre et non maison d’édition à proprement parler. La collection Carnets de, petit format à l’italienne a vu le jour en novembre 2016. L’impulsion, ou plutôt la décision de se lancer s’est imposée avec la réception du texte Novembre, d’Olivier Delbard, texte qui porte, entre autre, sur la manière dont la vie refait surface à Paris, après les attentats du Bataclan. Il a été pour moi le déclencheur d’une envie très forte, comme une forme de mission : comment résister à la Barbarie, et proposer un regard singulier sur le monde, dans les chemins de traverse et non les autoroutes de l’esprit, et comment aussi faire dialoguer et interagir texte et images ? C’est cette problématique qui est au cœur de la création de la collection. Pour le premier titre, j’ai confié à une jeune plasticienne belge, Anouk van Renterghem, l’interprétation libre de cet univers et le dialogue texte/image a très bien fonctionné.
La collection a démarré avec les axes suivants : Carnets de Couleurs, Carnets de Vie, de Philo, elle s’est ensuite ouverte à des Carnets de nature. Une deuxième collection Carnet d’enfance a vu le jour en 2018 et propose des textes accessibles pour les les plus jeunes. Nous avons offrons aussi une latitude Hors collection pour des projets qui ne rentrent pas dans notre ligne première de carnet, ou dans le format à l’italienne mais que nous souhaitons aussi accompagner : comme pour Draps d’étreintes, au format en hauteur, (texte érotique de Philippe Brun, peintures sur toiles de draps d’Anne Procoudine-Gorsky).
le petit objet intimiste qu’on peut garder sur sa table de nuit, partager avec ceux qu’on aime, garder dans son sac…
Pour expliquer notre projet, il faut comprendre qu’il ne surgit pas ex nihilo, mais qu’il a mûri à son rythme, peut-être pour partie à mon insu d’ailleurs. Je suis éditrice de formation (depuis presque 30 ans, issue du secteur scolaire et jeunesse), lectrice assidue et éclectique, avec un sérieux penchant pour le dialogue des Arts. Alors quand la cinquantaine venue, un virage professionnel en épingles à cheveux s’est présenté, j’ai eu envie de me rapprocher de mes envies profondes, et c’est ce concept là qui s’est imposé : dialogue entre texte fort, le plus souvent poétique mais pas seulement, et des formes visuelles graphiques qui accrochent le regard. Peut-être aussi pour donner envie de rentrer dans la poésie ou le beau texte plus facilement, avoir moins peur et partager l’objet, le petit objet intimiste qu’on peut garder sur sa table de nuit, partager avec ceux qu’on aime, garder dans son sac…
En ce sens, je ne suis pas sûre qu’il s’agisse d’une collection de poésie contemporaine : pour moi, c’est plutôt un objet artistique hybride dont la forme première est le livre.
Le choix des plasticiens, plasticiennes et auteurs et auteures est volontairement très ouvert, à l’image sans doute de ce que peut offrir l’ouverture sur la vie : avec la perspective de toujours se renouveler, d’offrir un livre inédit. C’est à la fois très modeste (notre premier tirage est à 100 exemplaires) et très ambitieux, car c’est à cette échelle que l’on peut changer le monde, je crois. Ce qui m’intéresse comme éditrice et coordinatrice de ces talents collectifs, c’est l’interaction, le jeu de la partition : comment les mots de l’un vont rencontrer les images de l’autre, et comment ils vont évoluer, cheminer en fonction de cette interaction. Cette forme de travail suppose pour les auteurs-res et plasticiens-nes de partager cette manière de travailler : rechercher le son juste, pas seulement par rapport à sa partition mais par rapport à l’objet dans son ensemble : à l’écoute de l’autre, de ce qu’il m’apporte dans son interprétation, dans son étrangeté, dans sa singularité aussi. L’éditrice joue le rôle de tiers séparateur et d’arbitre le cas échéant quand il faut choisir l’une ou l’autre option.
Les auteurs-res et plasticiens-nes sont à la fois très libres, mais aussi très contraints par le cahier des charges technique.
Qu’est-ce qui fait la spécificité de l’Atelier des Noyers dans la production poétique contemporaine ?
C’est difficile pour moi de vous dire ce qui fait la spécificité, c’est l’extérieur, le lecteur et/ou le critique qui découvre notre travail qui peut mieux que moi répondre à cette question, mais dans ce que j’ai souhaité mettre en place, il y a l’idée d’un collectif artistique, d’un partage et de rencontres entre les artistes, et ceux qui reçoivent notre travail. Ma joie est grande quand d’autres formes artistiques prennent le relais des livres pour les faire vivre sous une autre forme (Grandir d’Aurélie Armellini et Laura Dominguez a été adapté sous forme de théâtre dansé à Aix-en-Provence, Au gré du gris des jours de Colette Andriot et Anouk van Renterghem a été mis en musique jazz, Âme papier d’Allan Ryan et Matthieu Louvrieren adaptation de lecture musicale… Marianne a fait l’objet d’une belle soirée avec lecture de comédiens des auteurs francophones qui ont inspiré Virginie Brinker). Ce serait peut-être là la spécificité de notre travail, celle d’être ouverte à tous les horizons artistiques et d’avoir plusieurs modes de créations et productions.
Comment s’opère la rencontre et le travail entre l’écrivain et le plasticien ?
C’est différent à chaque fois : parfois le texte est premier, parfois les images sont premières, parfois l’ensemble est travaillé en croisé texte et images à quatre mains, parfois encore, la construction de l’ouvrage chemine en plusieurs temps et va-et-vient graphiques et textuels.
Il arrive que les deux protagonistes se rencontrent, de visu, autour d’un verre et de l’éditrice mais ce n’est pas toujours le cas, quand l’éloignement géographique est trop grand : pour Carnet Ocre et Noirs, nos artistes habitant par exemple en France et Amérique du Nord, la rencontre n’a pas précédé la sortie du livre. Skype nous a permis de contourner la difficulté. On essaie toujours, quand on peut, d’organiser un événement pour la sortie du livre, comme au Marché de la poésie cette année, pour que les artistes se rencontrent à ce moment-là si cela n’a pas eu lieu avant.
J’aime que l’aventure soit toujours différente et le processus de création singulier.
Je choisis toujours les textes en fonction de mes goûts, ma sensibilité et la ligne que je souhaite donner au catalogue et je propose (ou l’auteur me propose) des univers compatibles ou parfois le ou la plasticienne me propose un auteur, c’est arrivé aussi.
J’aime que l’aventure soit toujours différente et le processus de création singulier. Une contrainte pour l’instant, mais elle pourra évoluer, je ne souhaite pas deux fois le même binôme dans la même collection de Carnets, car j’aime l’unicité de ce que se passe dans la première rencontre artistique. Mais l’ouverture à d’autres collections changera peut-être ce point initial. Je n’exclus pas par exemple des projets ou texte et image auront un seul artiste en création (auteur/plasticien).
Un troisième format à l’italienne verra le jour cet automne… En septembre avec un titre d’Anne le Maître (texte) et Hervé Espinosa (aquarelles). C’est un carnet, plus grand, format A5 pour laisser la part belle aux aquarelles et au blanc, thème de l’ouvrage : Blanc comme la neige.
Une place de choix est donnée aux femmes dans votre catalogue ? Volonté ou affinité ?
Ma réponse va peut-être vous surprendre : les femmes ont une place de choix dans le catalogue de l’Atelier des Noyers, pas par féminisme ou esprit de revanche de x siècles de publications masculines, les femmes sont là, au milieu des hommes et à leur juste place, celle qui leur revient, parce que leurs textes ou leur univers graphique sont forts : sur 17 titres (nous en aurons 20 d’ici la fin d’année) et donc une quarantaine de collaborations textes et images confondus, nous avons travaillé avec deux plasticiens, Mathieu Louvrier et David Roche, avec trois poètes (Allan Ryan, Philippe Brun et Olivier Delbard) et de nombreux talents féminins.
En fait pour moi, ce n’est pas une question que je me pose, je dois vous l’avouer, je prends conscience de cette écrasante sur-représentation en répondant à votre question, mais je crois que je choisis par affinité textuelle et graphique… pour l’instant effectivement, une écrasante majorité féminine. Mais les trois titres à paraître d’ici la fin d’année ont un homme dans chaque duo, au texte ou à l’image, ce qui va remonter la moyenne !
Quelques mots sur la dernière parution ou un coup de cœur de l’éditrice ?
Le coup de cœur de l’éditrice, c’est sans aucune hésitation la formidable aventure qu’auteurs et plasticiens (hommes et femmes) me permettent de vivre avec cette petite maison d’édition C’est très excitant, très chronophage aussi mais très comblant de faire ce qu’on aime, d’offrir une vision qu’on espère esthétique et singulière et de voir que les lecteurs apprécient notre travail et se reconnaissent ou partagent notre démarche. L’objectif est de faire ensemble avec ce collectif ce qui nous paraît juste, nous avançons à notre rythme sur un sentier florissant pour les relations humaines et poétiques. Habiter poétiquement le monde…. la route est longue mais l’enjeu est majeur.
Du côté technique
Nos livres sont tous imprimés chez Dicolor, en Bourgogne.
Le travail de maquette est réalisé par Céline Girot-Detais
Nous éditons cartes postales et tirages numériques A4 numérotés signés avec chaque titre.
Notre référencement Electre, Dilicom, les salons et librairies indépendantes qui nous soutiennent nous ont permis d’initier ce travail. Un grand merci à tous ceux qui nous aident.
Merci pour cet entretien et merci surtout aux auteurs-res et plasticiens-nes sans qui ce voyage ne serait pas possible !
https://www.atelierdesnoyers.fr/
À paraître deuxième semestre 2018 :
Blanc comme la Neige d’Anne le Maître et Hervé Espinosa, Carnet de couleurs, (+ exposition à Talant 21)
Îles de la Gargaude de Philippe Mathy et Anne le Maître, Carnet de Nature
Automnes de Jean Libis et Michel Dufour, Hors collection, (format A5 en hauteur)
Carnet jaune (titre non définitif) de Pierre Soletti et Alexia Atmouni, Carnet de Couleurs
Liste des titres parus sur le site, accompagnée d’une présentation des artistes.