L’atelier du Passage ouvre une nouvelle rubrique : J’entends des voix, qui donne la parole aux écrivains.
Aujourd’hui, Jacky Essirard nous parle d’ Eté 70 qui vient de paraître aux éditions Yovana.
Eté 70 s'ouvre sur une période de convalescence après une opération bégnine. Le narrateur profite de ce temps de repos forcé pour remonter dans le passé, rejoindre les années 70, un ancien amour, et s’interroger sur l’homme qu’il est devenu.
Quel a été le point de départ, l’élément déclencheur de ce roman ?
On m’a opéré d’une hernie inguinale. Une association inconsciente s’est produite à ce moment-là entre la cicatrice d’aujourd’hui et celle invisible qui s’est installée après l’été 1970. Nos souvenirs sont peut-être régis par ce système de conditionnement : un évènement, un souvenir, une cicatrisation plus ou moins réussie. Je voulais réanimer cette histoire pour en comprendre le mécanisme. La partie fiction s’est introduite ensuite, comme si cette plaie devait engendrer davantage que du souvenir.
Une scène du livre évoque le spectacle Hair, symbolisant ces années de liberté, et on peut lire cette phrase : « le monde était provisoirement habitable ». Y a –t-il une nostalgie de cette époque ? Est-ce une manière, par contraste, de porter un regard sur notre monde contemporain ?
J’ai vécu ma jeunesse à une époque plutôt joyeuse. La société d’alors ne nous convenait pas. Famille, travail et service militaire offraient un chemin tout tracé. Mais marcher dans les pas de nos prédécesseurs nous semblait impossible. Il y avait l’opposition Est/Ouest et la Chine, la colonisation et la guerre du Vietnam, la censure. La situation économique était favorable, nous ne manquions de rien sauf de liberté. 1968 a été un accélérateur, la société traditionnelle a basculé dans la modernité. Les mœurs ont évolué, les consciences se sont élargies. Liberté, créativité, fraternité, nous étions dans une bulle d’optimisme. On sait que les bulles finissent par exploser. Pas de nostalgie, mais nous avons basculé dans une société qui tend à devenir artificielle, virtuelle et privée de sens. Notre société est réactionnaire par rapport à cette période en ce qui concerne notamment les mœurs, les acquis sociaux.
Le narrateur ne semble pas être à la « recherche du temps perdu », mais plutôt engager une réflexion sur la question du choix et ce qu’il est devenu. Est-ce la raison des allers-retours entre passé et présent qui donnent une structure double au texte ? La raison, également, de l’utilisation du présent, dans les deux temporalités du roman, comme si elles coexistaient ?
Je voulais jouer sur les deux périodes à la fois. Rendre présents les souvenirs comme si , ayant ré-ouvert la cicatrice, le narrateur retrouvait les événements. Le narrateur est toujours le jeune homme qu’il a été, il s’est seulement rempli d’une quarantaine d’années. Le temps s’est coagulé et forme un espace unique. En filigrane, ce texte parle de la relativité et d’intrication.
Vincent a renoncé à son amour de jeunesse, la jeune femme pour laquelle il a pris la route. Il renoncé ensuite à une carrière de dessinateur et de peintre. Est-ce de la résignation ? Pourquoi ce choix d’un homme en retrait des événements ?
Parce-que les vainqueurs ne m’intéressent guère. Il y a davantage à apprendre dans l’échec que dans la réussite. D’ailleurs Vincent n’est pas un perdant véritable, il relativise le succès. On peut penser que cet amour contrarié l’a empêché de s’attacher à d’autres femmes mais finalement le hasard le met en présence de Margot et il se bat pour ne pas la perdre.
Comme dans La Solitude du Quetzal*, les femmes d’Eté 70 semblent prendre leur destin en main et faire les choix que ne font pas les hommes. Est-ce quelque chose de conscient dans le processus d'écriture ? Les personnages ont-ils besoin de rencontres féminines pour progresser dans leurs propres cheminements ?
Dans le cadre d’un roman je pense que l’ambiguïté des sentiments suffit pour définir l’état d’esprit des personnages et leurs relations. C’est par souci d’avoir des caractères bien définis que j’ai attribué aux personnages masculins des deux récits un manque évident de prise de décision. Ils ont eu tous les deux des déceptions et ça laisse des traces. C’est le noyau dur de leur personnalité. Mais globalement et en dehors de ces deux livres, je crois que les hommes ont besoin de certaines femmes pour avancer.
*Jacky Essirard, La Solitude du Quetzal, ed. Yovana 2016
Jacky Essirard est écrivain et plasticien. Il anime une maison d’édition associative, l’Atelier de Villemorge, qui publie des livres d’artiste.
http://atelierdevillemorge.over-blog.com/2015/02/accueil.html