Ce vide lui blesse la vue
Denis Montebello
Editions la Mèche lente
Le point de départ de cette réjouissante balade littéraire : un tesson cassé d’argile cuite portant une inscription et dessin pornographiques, daté du 2e siècle de notre ère et trouvé lors de pérégrinations virtuelles, dans les réserves du musée Ste Croix de Poitiers.
Ateuritus, auteur du « Salut ça pour elle, dans le con », a un nom unique, celtique et romanisé, quand à cette époque la bonne société en porte trois, adoptant la mode de l’occupant romain (… « à Poitiers comme ailleurs, on avait oublié les oripeaux de l’indépendance pour faire allégeance aux nouveaux maîtres »….). Homme de condition modeste, donc, esclave ou ouvrier, Ateuritus dédie à Eutycha cette noble pensée et le graffiti explicite qui l’accompagne. Qui était-elle ? Une prostituée ? Eutycha est un nom d’esclave, nous apprend Denis Montebello. Et d’établir à partir de ces deux noms, de leur origine et étymologie, du support de l’inscription et du lieu où elle fut trouvée, diverses suppositions, diverses histoires, passant d’une époque à l’autre, du géographique à l’historique. « Car il est bien à plaindre, ce Gaulois venu retrouver à Poitiers sa belle Orientale ». Avec humour et intelligence, Denis Montebello rapproche la brique antique, la « brique lubrique », de nos obscénités contemporaines, des graffitis de pissotière aux débauches exposées sur la toile virtuelle et entraîne le lecteur dans ses recherches et divagations érudites.
« Ce sont des épopées minuscules, comme les vies qui s’écrivent là, à la pointe, dans l’argile en train de durcir ». Denis Montebello s’intéresse aux petites choses. Elles ne sont pas sans intérêt, bien au contraire. Elles portent leur valeur et leur témoignage en ce qu’elles sont passées au travers des mailles du filet des « grandes » choses, art, culture, histoire. Elles disent – et encore aujourd’hui – ce que sont les hommes aussi bien et peut-être mieux que les œuvres de haute valeur qui ont trouvé place dans les musées d’art et les livres d’histoire.
A une époque où l’effacement des traces –volontaire ou inhérente à une virtualité toujours plus grande de nos modes de fonctionnement – est de mise, cette œuvre de sauvetage a quelque chose de revigorant, d’autant qu’elle est faite sans pédanterie, avec légèreté, on pourrait dire avec tendresse et bienveillance.
C’est un texte d’une grande mobilité, agile et inventif que nous livre Denis Montebello, dans la lignée de ceux publiés, un texte écrit avec une gourmandise contagieuse. Le lecteur sort de ces pages avec l’envie de pelleter la terre pour y trouver d’autres menus trésors qu’il donnera en pâture à son imagination.
Saluons la naissance des éditions de la Mèche lente, créées par Vincent Dutois, à ce jour trois livres de belle fabrication.
Frédérique Germanaud