Sur le liseré des commissures
Suivi de
Les pays désolés
Un voyage avec Courbet
Alexandre Rolla
Editions la Clé à Molette
« Ce qui transforme le pays en paysage, c’est le regard, c’est tout le « travail » de l’art ».
Le livre s’ouvre sur le choc esthétique de la vision des Demoiselles de village, peinture de Gustave Courbet exposée au MET de Manhattan : Le morceau franc-comtois arraché à son terreau se retrouve à des milliers de kilomètres et se superpose à la vue sur Central Park et New York. « C’est une plénitude incroyable, comme si la compréhension de l’univers passait par la vision de sa propre réalité, si petite et si étroite, celle de son village, qui, d’un coup, se livre et se dévoile, aussi grande que le monde ».
Alexandre Rolla nous convie à une étrange et belle balade dont le carrefour, là où tout se noue – géographique, artistique, mental - se trouve à Ornans, ville de naissance de Courbet en 1819 et espace d’enfance de l’écrivain. De New York à San Francisco, de Bâle à Ostende, l’auteur arpente l’œuvre de Courbet, parcourt le monde à la recherche des peintures et des paysages auxquelles elles sont liées.
Peu à peu s’élabore une réflexion sur le regard, celui du peintre, celui du spectateur. Le premier cherche à percer le mystère sous la surface des choses, à atteindre le cœur, qui est en lien avec la mort et le renouveau. Le second finit par ne voir les paysages que par le prisme des œuvres d’art, dans une sorte de cécité partielle, partiale. Des kilomètres sous les pieds pour revenir toujours au même coin de nature, « dans les miroitements de la Loue ». Va et vient entre l’art et la nature, le regard et le paysage. « Comme Bill Viola, ‟je ne sais pas à quoi je ressemble” et c’est peut-être cela que je cherche à travers les paysages de Courbet. Je m’écarquille les yeux devant la matière-peinture car je n’ai pas ou plus la force de faire face à la matière-nature ».
La peinture n’est pas un art isolé et Alexandre Rolla convie le lecteur à des associations surprenantes - Giorgione, Sergio Leone, Bashung, Messagier ou Jeff Koons pour ne citer que quelques-uns. Ce voyage érudit transgresse les frontières, celles des pays, des écoles artistiques, des genres littéraires, le texte empruntant à la fois au récit poétique, à la déambulation intime et à la réflexion. Une des richesses du livre sont ces rapprochements inattendus, ces collisions. Pas de leçon d’histoire de l’art ici, mais l’exploration d’un territoire tout autant mental que géographique, tout autant culturel que physique, dans une grande liberté d’approches et de moyens.
Frédérique Germanaud