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13 octobre 2017 13 octobre 1932

« Il nous faut expédier 6000 exemplaires de Family History de Vita Sackville-West. Nous avons trouvé, cachée dans un tiroir, une grosse liasse de commandes. » Votre aide à l’édition, monsieur Belcher, est souffrant et vous vous rendez compte des demandes laissées en attente pour la Hogarth Press. Il a peut-être succombé, tout comme moi, à la sciatique, à force de porter ces piles d’ouvrages. C’est incroyable ce nombre d’exemplaires vendus. Plus d’un éditeur aujourd’hui, sauterait de joie d’atteindre ces tirages pour des textes aussi exigeants. Qu’y a-t-il de changé entre nos époques ? Moins de grands lecteurs, plus d’éditeurs, de plus en plus de publications qui finissent par brouiller les pistes ou des médias qui ne favorisent que les auteurs dont on parle déjà ? Je reste persuadée que la diversité des éditeurs et la subjectivité de leurs choix restent des atouts majeurs pour la vivacité de la création littéraire mais cela produit une perte de visibilité. Il faut être un lecteur curieux et audacieux de nos jours pour acheter un livre qui n’est pas sur le devant de la scène. Les libraires font comme ils peuvent mais la rotation des nouveautés transforme vite l’œuvre parue en produit obsolescent à glisser sous la table. L’art du réseau devient une nouvelle porte de sortie que certains activent tant bien que mal. C’est d’ailleurs parfois très sympathique de refaire en ligne une communauté de lecteurs. Vous découvrez des êtres qui vivent avec leur bibliothèque et j’avoue qu’en ce 13 octobre, date à laquelle sort votre livre Le Commun des Lecteurs, je pourrais reprendre, en leur honneur, les phrases que vous écrivez : « Le commun des lecteurs se distingue des critiques et des érudits(…). Celui-ci lit pour son propre plaisir plutôt que pour transmettre des connaissances ou corriger l’opinion des autres(…) Il ne cesse jamais, en lisant, de se bricoler une structure bancale et incertaine qui lui donnera la satisfaction temporaire de ressembler à l’objet réel pour recevoir l’affection, le rire ou le désaccord. (…)S’emparant d’un poème comme il le ferait d’un vieux meuble, sans se soucier de sa provenance ou de sa nature, du moment qu’il lui sert à quelque chose et parachève sa structure.» Vous avez raison, chère Virginia, il y a de la dignité à faire partie du commun des lecteurs : cette activité prend beaucoup de temps et sans rien  apporter financièrement. Dans un monde où l’on nous fait croire que la valeur marchande est la seule qui vaille, être un lecteur est un acte remarquable. Alors, je me réjouis des partages de ces lecteurs inconnus qui postent sur le net des enthousiasmes, des découvertes, qui visitent librairies et bibliothèques et se laissent porter par leur seule quête du moment, sans trop se faire happer par les sirènes médiatiques, qui osent, hors des sentiers battus, tourner les pages avec élan et éveil, se poser en compagnie des mots d’un inconnu qui soudain leur parle. Souvent, ils ne sauraient pas dire pourquoi mais ils témoignent de la rencontre. Parfois même, cela produit par ricochet un autre anonyme lecteur, le plus souvent une anonyme lectrice. Ne nous y trompons pas les statistiques sont claires, le féminin l’emporte sur le masculin ! Cette anonyme donc persuade à son tour une amie virtuelle d’entrer dans un univers et fait mouche. De rebonds en rebonds, il arrive que la communauté des lecteurs augmente pour un temps le nombre d’exemplaires vendus. Cela m’amusait de vous signifier ce phénomène en résonnance avec votre commun des lecteurs. La liste est longue des Archibald, Bernard, Vincent, Claude, Clodine, Frédérique, Catherine, Hélène, Anne, Sabine, Magdalena, Pascale, Françoise… qui forment cette communauté d’amis lecteurs facebookiens, qui grappille çà et là et essaime ses trouvailles. Finalement, c’est une façon de poursuivre votre sillon et même si les petits éditeurs n’atteignent que rarement les tirages de la Hogarth Press, ils peuvent se dire que le commun d’entre nous n’est pas loin. Il suffit parfois d’un clic !

Marcelline Roux