Paris et autres déambulations
Christian Doumet
Edition Fata Morgana
Quitter Paris avec Paris et autres déambulations
Il faut oser embarquer les livres en voyage, surtout quand le titre suggère la déambulation et qu’il se prédestine au mouvement. Je me balade donc avec les fragments de Christian Doumet dans ma besace. Je savoure sa façon d’entrer en littérature par la porte philosophique. Fréquenter sa prose, c’est me mettre à penser au détour des mots, l’air de rien, mais assurément. Loin de la froideur de l’essai, ses phrases partent du corps avant de rejoindre la tête. C’est ce départ qui offre le partage en simplicité. Son dernier opus, pourrait aider à reformuler la trop célèbre affirmation cartésienne « je pense donc je suis » en un « je marche donc je pense », ou mieux un « je flâne donc je suis ». Dans les pas d’un Réda, Gracq, Rimbaud, Baudelaire, Queneau et même, in extremis, d’un Roubaud, il prend le relais. Sans s’encombrer toutefois de ces références littéraires, les pas de Doumet défrichent. Ils n’écrivent ni par procuration, ni dans les traces d’un autre, ils avancent au hasard des rues des villes, comme, semble-t-il, dans la composition. Les titres des fragments se déposent les uns près des autres, sans souffrir de cette cohabitation au petit bonheur la chance. Le mollet de l’auteur n’est d’ailleurs pas celui du randonneur qui accomplit consciencieusement ses étapes mais celui du passant citadin qui use, selon l’humeur, ses semelles de vent sur le bitume. Point de tirades érudites sur le pittoresque d’un quartier, ou la beauté architecturale d’une façade, le philosophe ne singe pas le guide touristique. Il part d’impressions, de sensations, de nuages, de lumière, de cogitations intérieures pour métamorphoser sa flânerie en méditations. Ce pas de côté, posé loin des habitudes d’aujourd’hui, du footing, de la performance sportive, de l’allure pressée pour rejoindre le bureau, dégage l’homme de sa servitude volontaire pour le mettre en état de voir, hors du flux. Christian Doumet ouvre la voie du luxe qui ne coûte rien. De ce point de vue, il n’a rien compris à l’époque : proposer de vivre luxueusement sans signes extérieurs de richesse n’est pas le moyen de fabriquer des suiveurs. On ne suit de toutes façons pas un flâneur, son itinéraire est trop aléatoire et incompréhensible pour celui qui l’observe. C’est sa liberté suprême : il n’appartient qu’au tracé qu’il dessine, à partir de sa carte intérieure, faite de souvenirs et d’attentes. C’est un homme ouvert à la rencontre, au visage aperçu, à l’improvisation, musicien de jazz maîtrisant l’art de la fugue. Je n’ai pas glissé Paris et autres déambulations dans mon sac pour fouler les rues de la capitale en symbiose imitatrice. C’eût été trop facile. J’ai osé embarquer ce Doumet dans mon vieux sac à dos Karrimor et l’ai fait monter dans un Ouibus : une provocation pour cet amateur de grandes et nobles villes comme New York, Londres, Pékin, San Francisco. Etait-ce une si grave erreur ? Ces nouveaux trajets en car deviennent ceux des pauvres, obligés, faute de pouvoir d’achat, d’apprendre à voyager lentement. Je ne sais si le ministre qui a permis ce développement routier, faisant fi des enjeux écologiques, avait conscience d’afficher clairement la couleur d’une France à deux vitesses. Je m’étais même promis de résister à ce moyen de transport mais nécessité faisant, j’ai succombé. Il me fallait un antidote et Doumet m’aidait. Au fil de ses mots, je me suis dit que finalement ces cars étaient à leur façon un nouvel art de la flânerie : arrêts dans des lieux improbables, vitesse stabilisée sur l’autoroute, visages multiples à découvrir à bord, rien à voir avec la grande vitesse des TGV. Le TGV fait désormais figure de jogger et me revoilà du côté du marcheur doumettien qui ne comprend rien à la course de ces solitaires qui font durer leur foulée tard dans la nuit. Ce n’est plus « un jogger passe dans la nuit », ni même, « un train passe dans la nuit », pour citer l’oulipien François Le lionnais, mais « un car passe dans la nuit ». Je me console en retrouvant cet art poétique de la bifurcation et un regard embué sur le paysage. J’ai quand même hâte de poser le pied sur le trottoir. Je ne pourrai certes pas avoir la grâce élégante de Fanny Ardant dans Vivement Dimanche qui séduit tant Christian Doumet : mon vieux sac à dos me l’interdit. De toutes les façons, on est lundi, pas de regret. J’aurai du moins lu en tentant ce pas de côté et j’ose croire qu’il m’aurait approuvée.