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La Sollitude du Quetzal

Jacky Essirard

Editions Yovana

 

 

La solitude du voyageur

 

 

Je partais pour un week-end à Dunkerque : rien d’exotique en soit. J’avais toutefois dans mon bagage un livre de Jacky Essirard dont le titre évocateur La solitude du Quetzal promettait quelques envolées lointaines. J’avais aimé glisser ce petit livre, au fond vert, dans mon grand sac de la même couleur. Prendre le TGV nord et embarquer en lecture pour le Guatemala était une réjouissante gageure. Je me préparai à l’évasion, à la découverte, aux saveurs, aux couleurs. J’avais tous les clichés chamaniques et indiens en tête et le roulis du train aiderait au décollage loin du plat pays. Un doute m’a toutefois saisie dès les premières pages, quelque chose clochait et les carillons familiers m’alertaient. L’auteur ne négligeait pourtant aucune description pittoresque.  Il mettait même une certaine courtoisie à traverser les lieux attendus. En bon touriste moderne, il effectuait consciencieusement toutes les étapes. Il exerçait sa plume à rendre le plus objectivement possible les paysages. Généreux, il m’en mettait plein les yeux.  Je pouvais m’imaginer, à ses côtés, chez les mayas. Tout défilait, mais lui comme moi, restions des spectateurs coupés, privés.

Ce n’est qu’au bout de quelques pages que j’ai pris conscience que les beffrois du Nord n’ont pas toujours tort d’assourdir les visiteurs. La perte d’un amour provoque la fuite mais ne permet pas le voyage. Il faut s’extraire de la douleur et se mettre en route mais ce n’est pas pour autant que le mouvement active les sens. J’ai pensé au film d’Anne-Marie Miéville, Nous sommes tous encore ici, lorsque Jean-Luc Godard regarde par la fenêtre d’un hôtel et attend que son âme rejoigne son corps, qui a voyagé trop vite. Le narrateur de La solitude du Quetzal est dans un état similaire : il attend désespérément que la douleur de la séparation amoureuse rejoigne son corps débarqué au Guatemala. Il aura beau parcourir tous les espaces de ce pays légendaire, incruster toutes les images dans son carnet, l’osmose ne se produit pas, car l’aimée résiste et creuse une faille dans le paysage, lui dérobant son âme.

L’écriture ne peut se déployer que dans une certaine froideur. Elle se fait constat mais ne vibre pas. Le voyage est impossible tout autant que le renoncement à partir. Il faut partir malgré tout, revenir malgré tout, être assigné à la place du spectateur impuissant. N’attendons toutefois aucune analyse psychologisante à deux sous  dans ce récit, placé dans l’abîme d’un Michaux. L’absente va grignoter le décor et gagner toute la place au fil des pages et la sobriété de la narration creuser un trou de plus en plus grand. Voyager est indispensable mais n’efface pas la nécessité du trajet en terre intérieure. Partir, revenir, offre de pouvoir, un jour, se tenir immobile en face d’elles, femme et douleur. Le jaguar qu’aime tant le narrateur est le super prédateur qui mord directement le crâne de sa proie et porte ainsi un coup fatal au cerveau. L’évocation de ce félin n’est pas le fruit du hasard. Pour survivre à une séparation amoureuse, il faut pouvoir s’arracher la tête, éviter la rumination des souvenirs. Ce félin est toutefois une espèce menacée et en voie d’extinction. Il y a donc peu de chance qu’il revienne prêter ses crocs aux abandonnés.

Ce livre est un petit tour de force et d’écrou :  il remplit son contrat de récit de voyage pour mieux nous faire comprendre que nous sommes tous encore ici, à traverser nos pertes. Le Quetzal, le plus bel oiseau du monde, symbole de la liberté, ne s’attrapera pas facilement. 

 

Marcelline Roux