Vers la mer
Chant d’amour et d’adieu
Jacques-François Piquet
Ed.Rhubarbe
Une femme malade, en fin de vie, à bout de course. En compagnie de son époux, elle accomplit un dernier voyage en bateau, sur un fleuve, qui la mènera à la mer, l’ultime étape. Le sous-titre du livre, Chant d’amour et d’adieu, place le lecteur au cœur du propos : il ne s’agit pas d’une élégie ou d’une somme de regrets, mais d’une célébration de la vie, d’un hymne à l’amour.
Ils ont laissé derrière eux leurs filles et amis. Ce qui leur reste à vivre doit être accompli dans la solitude du couple. Ils ont choisi de se rendre dignement, en fêtant les beautés qui s’offrent à eux au long des paysages lentement traversés. Le corps, même amenuisé, reste très présent, caressé, réchauffé, embrassé, baigné. Chaque geste de l’époux, chaque parole sont empreints d’une infinie délicatesse. L’épouse est installée dans une petite véranda à l’avant du navire, cocon lumineux et protecteur abritant la mue dernière.
Ils sont partis avec une caisse de livres, des recommandations pour leurs filles (prendre soin des plantes, construire une maison sur la terre qu’ils leur ont laissée), et deux carnets, un noir à usage de journal de bord, un bleu pour les réflexions et citations. Procédé qui permet au lecteur de partager le quotidien de cette aventure, appareillages, notes météorologiques, paysages, souvenirs. Les citations de poètes disent ce qui ne peut l’être par l’un ou l’autre des époux. Ainsi celle de Lydia Flem, qui prend une résonnance particulière dans ce voyage : Ne pas être pressée d’arriver quelque part, être là où l’on est, rien chercher d’autre.
« Nous vivons sans heure, me dis-je, mais vivons-nous encore ? ». Bien-sûr, ces deux-là vivent, s’aiment. En onze étapes –et, dans sa remarquable préface, Marcelline Roux, pointe ce chiffre comme étant le 1+1 du couple, « deux face d’une même énergie » - ils nous emportent et nous marquent durablement. Que ce bateau soit réel ou métaphorique, il mène à ce lieu qui n’en est pas vraiment un, l’océan, informe, infini. L’époux qui n’avait pas cédé à la désuète tradition de faire passer dans ses bras le seuil de sa maison à l’aimée la portera, au terme du voyage, dans sa dernière demeure. « Rester sujet jusqu’au bout », selon les mots de Françoise Ascal, c’est ainsi que s’achèvera l’histoire de l’épouse, de l’aimée, qui lâchera la main qui la tient hors d’eau pour s’en aller à jamais.
Il faudra alors entreprendre le chemin du retour, seul et sans se retourner, Orphée ayant à jamais perdu son Eurydice. « Quand le silence est revenu dans ma tête, j’ai ramené le bateau vers la côte, le jour se levait le port baignait dans une clarté rouge quelque peu artificielle qui ne m’aidait pas à reprendre pied avec le monde des vivants. »
F.Germanaud