Quelques roses sauvages
Alexandre Bergamini
Edition Arléa
Au point de départ du livre, il y a les figures de A.B, ancien déporté dans un camp de concentration lors de la seconde guerre mondiale, et de son ami ou compagnon – on ne saura pas – T.Mast, tous deux apparus sur une photographie en noir et blanc prise dans une rue de Berlin au cours de l’été 45. Le narrateur de Quelques roses sauvages part sur les traces de ces deux survivants.
Trois parties structurent la narration : les séjours à Berlin en 2011 et 2012, puis quelques jours à Amsterdam. Consultation des archives, interrogations de descendants des protagonistes, visite des camps de concentration, à la recherche des personnages de la photographie. Sachsenhausen, à trente kilomètres de Berlin, et Westenbork, dans le nord des Pays-Bas sont l’un et l’autre sont des « camps modèles », le premier destiné à la détention d’opposants politiques, intellectuels, homosexuels, juifs, le second, lieu de transit des prisonniers à destination de Auschwitz, qui vit passer notamment Anne Franck et Etty Hillesum. Chaque chapitre est une étape, l’occasion de collecter des indices et des preuves, mais aussi de s’interroger et de revenir à soi.
Ce récit discontinu, fragmentaire est une réflexion sur l’histoire des camps, mise en lien avec notre société contemporaine et ses fonctionnements. Alexandre Bergamini s’interroge ainsi sur ces lieux de mort reconstruits, devenus pédagogiques, fictifs, sur la traduction des témoignages en langue allemande (parce que payée par les impôts allemands, lui dit-on…) sans qu’il ne soit plus possible d’accéder au témoignage source, questionnements qui rappellent ceux de Georges Didi-Huberman sur l’image et l’archive, sur la mémoire, notamment lors de sa visite à Birkenau (Ecorce). L’auteur piste les restes du système nazi dans nos démocraties : destruction de documents, falsifications d’archives, volonté de faire table rase du passé, de ne penser qu’à l’avenir, de dénigrer la culture, de détruire la langue, mise à l’écart de certaines minorités, internement des indésirables. Le tout justifié par des nécessités administratives, matérielles, ou de sécurité. « C’est avec son matricule de déporté que l’on retrouve le témoignage de A.B., pas avec son nom. Effrayante continuité de l’administration ». Mots qui résonnent particulièrement dans l’actualité de nos pays occidentaux.
Parallèlement à cette matière politique, Alexandre Bergamini explore quelques-unes de ses obsessions : Désir de vérité, nécessaire vigilance et esprit critique, mort, traumatismes familiaux. Il y un désir d’éclaircissement de soi, une volonté de mise au jour. Une recherche au plus profond. Alexandre Bergamini fait de constants va-et-vient entre l’individuel et le collectif. Il confronte l’intime à l’histoire, partage avec le lecteur ses questionnements, ouvrant la voie à de multiples réflexions.
« Quoi que je fasse, ne voulant trahir aucune réalité, je les trahis toutes. Lorsque je tente d’introduire des éléments de fiction, la réalité me rattrape, nette, implacable et m’oblige à revenir au réel, à ce qui manque, à l’indicible, ce pourquoi j’écris ». Débarrassé des artifices de la fiction, le livre d’Alexandre Bergamini est bien un travail littéraire, porté par un récit, une langue dépouillée et précise. Un livre sensible et intelligent.
Frédérique Germanaud