Sept fois presque rien
Estelle Granet
Editions d’un Noir si bleu
Le recueil d’Estelle Granet est composé de sept nouvelles situées dans le Brésil contemporain. Petits ratages, inachèvements et déceptions, ainsi vont les vies des personnages de ce livre. Estelle Granet saisit ses protagonistes dans leurs défaillances, avec empathie et tendresse. Elle vise le moment clé, le point où tout pourrait basculer vers un avenir meilleur, une vie plus riche, une histoire amoureuse, si ces êtres ordinaires saisissaient leur chance. Mais elle leur échappe, ou ils la refusent, retournant à leur destin commun. Sans pessimisme, plutôt sous la forme d’un constat bienveillant, l’auteure sait nous rendre attachante cette humanité imparfaite.
Emblématique, cette nouvelle intitulée Fuchsia. Rosa surprend dans un café un couple qui se sépare. Elle suit l’homme pour lui rendre l’écharpe que son ex-compagne a oubliée. Elle perd l’écharpe, laisse l’homme poursuivre seul son chemin, l’abandonnant à son histoire et retrouvant la sienne, inchangée. Le lecteur devine pourtant que cette rencontre sans suite laissera une légère fêlure dans la vie de Rosa, celle du renoncement à un possible. Ainsi, chacun des hommes et des femmes de Sept fois presque rien laisse volontairement s’échapper une réalisation de soi qui aurait pu avoir lieu, comme Eduino, le peintre de la nouvelle qui ouvre le recueil, qui finit par détruire son œuvre, ou Isabela qui voudrait sauver sa ville.
Estelle Granet use de ce procédé qui consiste à mettre en lien ses personnages d’une nouvelle à l’autre. Manière de dire que tous ces êtres sont les différentes facettes d’un même désarroi, d’un même ennui, d’une même inaptitude à prendre la vie à bras le corps, à être autre chose que ce que la société attend d’eux. Jamais tout à fait à leur place, mais incapable de trouver le lieu qui leur convient. « Mal ici, mal là-bas. Une pointe de regret enfoncée comme un coin dans son quotidien, présente jusque dans les moments les plus heureux ». Profondément inadaptés.
L’écriture est sobre, procède plutôt par esquisse, capte un détail, un vêtement, une habitude, ces « presque rien » qui nous livrent la complexité humaine. Un mot laissé sur un banc pour appeler au retour. Une jetée en bois en bois sur laquelle une mère place chaque soir une bougie pour protéger son enfant. La nouvelle intitulée Clarisse s’ouvre ainsi en quelques traits brefs : un banc de fer aux planches grises, une caresse dans les cheveux d’un homme, un sac de voyage posé aux pieds d’un couple. Tout est suggéré de la séparation, d’un amour qui s’achève, d’une tristesse qui n’est pas dite. Toute la place est laissée au lecteur pour combler les manques de la narration.
Le recueil, désenchanté, le premier de cette jeune auteure, est une réussite prometteuse. Il a obtenu le Prix de la nouvelle de la Ville d’Angers. Il est publié par d’un Noir si Bleu, dont il faut souligner le remarquable travail dans le domaine de la nouvelle.
Frédérique Germanaud (janv.-15)
Sept fois presque rien, Estelle Granet, ed. d’un Noir si bleu (10 €)