Edith AZAM
Décembre m’a cigüe
Edition POL
Un être aimé va mourir. L’ultimatum a été donné, ce sera pour décembre. Le téléphone va sonner, d’un moment à l’autre va annoncer la mauvaise nouvelle. Annoncer l’inacceptable. C’est un hiver glacial, dur. Le corps se rétracte. Il refuse, use toute son énergie à refuser : le froid, la mort qui va venir, la langue qui s’échine à dire l’indicible. Il faut tenir. Empiler les pulls, faire des tisanes, fumer, dessiner. Lire les messages qui s’affichent sur le téléphone. Poster des lettres pour celle qui est loin. Tenir le temps qu’il faut avant de pouvoir entreprendre le voyage, d’envisager des retrouvailles. Dix jours, une éternité, un temps impossible à décompter raisonnablement. Mais on a promis de tenir. « Dans dix jours je te vois, il faut tenir dix jours, tu tiendras je le sais, c’est moi qui ne tiens pas ».
Toute cette énergie passe dans la langue. Le souffle est court. Il faut aller vite. Le souffle se brise sur une ponctuation musicale, qui syncope, creuse des trous dans la phrase, obligeant le lecteur à intégrer la rythmique haletante de l’auteure. Le texte d’Edith Azam est très physique. Il empoigne et ne lâche plus. Le corps y prend tout l’espace, manifestant les sentiments, la révolte, le découragement : la solitude grimpe le long de la colonne, les os rouillent, les yeux deviennent pierre et l’angoisse croche les poumons. Le corps n’est plus que : froid, migraine, insomnie, cris. « Le langage n’est plus qu’une chose sans voix qui remue sous la peau : qui remue du silence ». La chair seule se confronte à l’absence et à la douleur. Que peuvent les mots à ce niveau de souffrance ? « Ecrire ne signifie rien, rien d’autre que le manque, qu’une pensée bouclée ». Se trame au long poème en prose une réflexion sur l’impuissance de la langue confrontée à la violence de la perte. Mais que faire d’autre ? Comment faire face ?
En contrepoint, quelques souvenirs heureux de cette figure tutélaire en train de disparaitre, et les vers de ce conte breton, le Chevalier Bran, qui sont une respiration, un écho au malheur qui se trame et, peut-être une consolation.
Entendre Edith Azam est une expérience saisissante. Il faut la lire. Pour la vigueur et l’inventivité de sa langue. Pour ce désir d’écrire au plus près de l’expérience, de former/déformer l’écriture par l’expérience. Pour sa générosité. La poésie d’Edith Azam a du corps. Et du cœur.
Edith Azam
Vous l'appellerez: RivièreEdition la Dragonne
"Ce livre, qui s'apparente à un « roman-poème », développe en parallèle deux récits. Le premier tient la chronique d'une relation amoureuse tourmentée ; le second, sous la forme d'une fable, nous présente Rivière. Peu à peu les deux récits s'entremêlent, oscillant entre le réel et le conte, tandis que la rivière dont il est question dans le titre devient, métaphoriquement, un personnage à part entière.
La poésie se fait ici limpide, heurtée seulement par une ponctuation que l'auteur malmène en toute liberté. Mais sous l'apparente douceur sont exposés les lambeaux de vie et de peine, les corps maladroits, les ambiguïtés du discours amoureux...
Dans cette histoire à deux voix, tour à tour paisible et torrentielle, Edith Azam met à nu une émotion vibrante, qui gagne en intensité au fil des pages. On en ressort bouleversé."
La Dragonne édite ce texte issu d'une résidence à Rochefort sur Loire, accompagné de peintures d'Elice Meng. Saluons le travail de cet éditeur exigeant et enthousiaste, et retrouvons Elice Meng sur son site : www.elice-meng.com et son exposition Du Vent dans les Plumes à la librairie Le Goût Thé en Libr'aire, à Coutures (49320)
Frédérique Germanaud